Au Nord de la capitale de la Savoie, à proximité du nouveau quartier des Hauts-de-Chambéry, et dans un environnement où la campagne tend à disparaître chaque jour un peu plus, le domaine de Caramagne donne des allures italiennes aux environs de Chambéry.
Une grandiose entrée, entourée de communs en hémicycle, ouvre sur une majestueuse allée de platanes.
Celle-ci conduit à cette vénérable demeure dont le décor en trompe-l’œil surprend le visiteur.
De belles colonnes de marbre rose soutiennent l’élégante loggia dans le goût des palais italiens. Les peintures à la détrempe présentent une surprenante perspective de fausses colonnes.
Aux extrémités de la loggia, deux groupes figurent en trompe-l’oeil l’enlèvement de Déjanire par le Centaure Nessus, à gauche, et l’enlèvement d’Europe par Jupiter à droite.
La configuration du domaine n’a pas changé depuis la mappe sarde de 1728 où l’on retrouve bien visible la grande esplanade Ouest qui domine la combe de Savoie et la rosace de calades à la croisée des chemins de Saint-Ombre.
Une rampe de calades permet d‘accéder progressivement à la cour privée, séparée par un portail de fer forgé, et de découvrir l’ampleur insoupçonnée de la fausse colonnade en trompe-l’œil qui donne l’impression de prolonger la loggia.
La nuit, une mise en lumière réalisée par l’artiste Daniel Schlaepfer, accentue encore la théâtralité magistrale de ce décor palladien.
Une galaxie de galets lumineux prolonge cette atmosphère d’irréalité.
Sur les parois en grisailles de grandes figures mythologiques sont attribuées à Casimir Vicario.
Elles figurent Hercule et l’Hydre de Lerne d’un coté, et Apollon et Daphné de l’autre.
Apollon et Daphné
(attribué à Casimir Vicario)
Phoebus amat visaeque cupit conubia Daphnes
« Phébus aime ; à Daphné qu’il a vue, il désire s’unir…
Il contemple les cheveux de Daphné qui, sans ornements, tombent sur son cou.
Que serait-ce si elle les parait ? dit-il. Il voit ses yeux étincelants comme des astres, il voit sa petite bouche qu’il ne lui suffit pas de voir ; il vante ses doigts, ses mains, ses poignets ses bras nus plus qu’à moitié ; ce qu’il ne voit pas, il le suppose plus beau encore.
Elle, elle fuit plus rapide que la brise légère…
Mais le poursuivant est plus rapide ; il se penche sur la nuque de la fugitive et effleure de son souffle la chevelure éparse sur son cou.
« À l’aide ! Mon père, dit-elle (…) métamorphose-moi pour me délivrer d’une beauté trop aimable. »
(…) une lourde torpeur envahit ses membres, une mince écorce ceint sa délicate poitrine, ses cheveux poussent en feuillage, ses bras s’allongent en rameaux ; ses pieds, il y a un instant si rapides sont fixés au sol par de solides racines, la cime d’un arbre occupe sa tête ; de sa beauté ne demeure que l’éclat. »
Ovide, Métamorphoses, livre I
De part et d’autre du perron principal deux tours se font pendant.
La chapelle, récemment réhabilitée, abrite les fresques de Scènes de la Vie de Marie (Annonciation, Fuite en Égypte) et un reliquaire baroque.
Sa porte cintrée est ornée d’un cartouche du XVIIIe couronné. Deux anges, semblables à des amours supportent ce cartouche. On y lit cette inscription « Deo Optimo, Maximo ».
En face, se trouve le Pavillon du Prélat, logement du Chapelain.
Détail des anges de la chapelle
À l’origine, c’est le Sieur Bernardino Becchi originaire de Caramagna-Piemonte qui bâtit un relais de chasse au XVIe siècle.
Subsiste de cette époque un socle ancien et une série de caves et de vestiges au dessous des caves actuelles.
La Villa de style palladien telle qu’on peut la voir encore est probablement la création du noble Victor Bertrand de la Perrouse, marquis de Thones, premier Président du Parlement de Savoie dans les années 1720-1740.
On y compte dès lors plusieurs occupants célèbres.
C’est en effet dans la famille Noyel de Bellegarde qu’on retrouve le domaine lorsqu’éclate la Révolution.
Son propriétaire, le marquis Eugène de Bellegarde, est également le maître du bourg des Marches. Ses deux filles, Adélaïde et Aurore, pactisent avec les Révolutionnaires français, venus libérer la Savoie de la tyrannie.
Adèle de Bellegarde se lie avec le Commissaire Conventionnel Marie-Jean Hérault de Séchelles qui administre le Département du Mont-Blanc. Elle le suit à Paris au plus fort de la Terreur et ne peut lui éviter de perdre la tête en même temps que son ami Danton. (Avril 1794).
Elle-même recherchée, elle n’échappe à la guillotine que part la mort de Robespierre.
La belle Adélaïde fréquente alors le peintre des révolutionnaires Jacques-Louis David qui en fait son modèle pour la figure centrale de Hersilie dans l’Enlèvement des Sabines (au Louvre).
Le profil d’Aurore est enfin immortalisé par le timbre la Sabine de Gandon. Elle mérite bien son nom de « plus belle femme de Savoie » à cette époque naturellement.
Devenu Bien National, le château est vendu à un Commissaire des Guerres de Napoléon, un certain Joseph Gillet qui le loue en 1820 au Marquis de la Pierre de retour d’exil.
Celui-ci avait épousé en Angleterre Dorothy d’Hamptonwick, hébergée par la famille du Colonel Birch.
C’est lors d’une visite en Savoie de ces amis britanniques que leur fille Mary Ann Elisa fit la connaissance d’Alphonse de Lamartine ami intime du Marquis de la Pierre.
Le Poète, sans doute fatigué des émotions de sa romance avec Elvire sur le lac du Bourget voisin, demande sa main.
Qui lui est refusée par Madame Birch en raison de son peu d’avenir et comme papiste.
Néanmoins Alphonse finit par accepter un mariage calviniste à Genève ce qui ouvrit la voie à un deuxième mariage à Chambéry à la Sainte Chapelle du Palais des Ducs puis au mariage civil célébré à Caramagne.
Le Jeudi 25 Mai 1820 le contrat de mariage est conclu au Grand Salon.
Alphonse de Lamartine
Le poète et sa mère arrivèrent à Caramagne pour cette cérémonie à midi et demie.
Le contrat fut lu seulement à six heures le soir en présence d’une nombreuse et excellente compagnie. Par les portes grand ouvertes les rayons du soleil couchant traversaient le Salon jusqu’au portail d’entrée auréolant les invités assis sur les sofas et les fauteuils recouverts de soie verte et blanche. Parmi les personnalités présentes la plus en vue était le comte Joseph de Maistre.
Lamartine décrit ainsi le célèbre écrivain savoyard ; « Le comte de Maistre était un homme de grande taille, d’une belle et mâle figure militaire, d’un front haut et découvert où flottaient seulement, comme les débris d’une couronne, quelques belles mèches de cheveux argentés. Un certain air de représentation caractérisait son attitude ; après avoir représenté devant les cours, il représentait encore dans sa famille.
Son costume tenait de l’homme de cour : cravate blanche, décoration au cou, grande croix pendante sur la poitrine, plaque au coeur, habit de cérémonie, chapeau toujours à la main… »
Sa morgue faillit soulever un incident de protocole.
Le comte d’Andezeno, Gouverneur de la Savoie, qui servait de père et de témoin à la fiancée ayant apposé le premier sa signature, Joseph de Maistre quitta le Grand Salon, considérant comme au-dessous de son rang d’Ambassadeur du Roi et de Ministre d’Etat, de signer après le Gouverneur…
Après la réunion de la Savoie à la France en 1860, le Domaine de Caramagne conserve des liens constants et importants avec le nouveau Royaume d’Italie.
Dés 1889 en effet la famille Martin-Franklin, nouvelle propriétaire compte plusieurs de ses membres au service de la Cour.
Ernest Martin-Franklin, Vice-Amiral d’Italie est l’aide de camp du Roi d’Italie Humbert Ier.
À sa mort en 1908, son fils Alberto lui succède et entame une brillante carrière diplomatique.
En poste notamment à Londres puis Ministre d’Italie auprès de plusieurs conférences internationales.
Sénateur du Royaume d’Italie.
Ernesto Martin Franklin
Alberto Martin Franklin
La comtesse Martin-Franklin est Dame d’honneur de la Reine Marie-José de Savoie, épouse de Umberto II, dont les séjours à Caramagne sont nombreux.
La famille habite Rome et se déplace de Mai à Novembre à Caramagne.
La comtesse se déplaçait avec tout son train, accompagnée de son Prélat qui lui disait la messe chaque jour à la chapelle.
Le dimanche, les enfants de chœur se souviennent encore des solides petits déjeuners qui récompensaient leur zèle.
Pendant la guerre, une escorte officielle lui était due.
À sa mort survenue à Caramagne un service solennel fut célébré à la cathédrale de Chambéry en présence de la Reine.
Sans enfants, sa succession échoit à sa nièce Emiliana Ermina Miniscalchi, marquise Spinola.
Emiliana est alors très jeune. Son époux Jacques le marquis Spinola mène une vie de plaisirs et de jeux, célèbre dans tous les casinos.
Le Domaine est alors vendu en 1965 et son mobilier en grande partie dispersé.
Marie-José de Savoie, épouse de Umberto II,
dernier roi d’Italie (1946)
Actuellement le château, demeure privée, est largement ouvert au public à l’occasion de spectacles ou concerts. C’est le cas notamment lorsqu’il accueille des Festivals de musique organisés par exemple par les Rencontres Artistiques de Bel-Air, les Voix du Prieuré, Les Nuits Romantiques du lac du Bourget, ou encore le Festival du premier roman de Chambéry.
La Villa Caramagne, annexe située dans le merveilleux Parc de l’Est face au château, accueille des artistes en résidence pour la création d’œuvres originales.
Plusieurs compagnies de théâtre programmées notamment par l’Espace Malraux scène nationale y ont trouvé leur inspiration.
Des classes de maître font intervenir de grands musiciens comme Donna Brown, Philippe Cassard ou Nemanja Radulovic dans le cadre de l’Académie des Nuits Romantiques.
Monnaie à l’effigie
du blason de Caramagne